AVEZ-VOUS ÉTÉ HEUREUSE DE RETROUVER LES TUCHE ?
Très heureuse. Même si, comme la fois précédente, j’ai eu un
peu peur que les gens en aient marre, j’étais contente de revoir mes copains.
On joue tous des personnages qui nous remettent dans un état d’enfance, dans
des sentiments à la fois purs et candides. C’est très agréable et très
régénérant.
QUAND VOUS ÊTES ARRIVÉE SUR LE TOURNAGE À QUOI AVEZ-VOUS
PENSÉ ?
À faire mon travail d’actrice le mieux possible,
c’est-à-dire à retrouver la vérité de mon personnage. Même si on reprend un
rôle plusieurs fois, comme c’est le cas de celui de Cathy, il n’est jamais
acquis. C’est comme le succès, qui n’est jamais dû non plus, et qu’on ne peut
pas contrôler. À chaque fois, on est dans le doute. On repart de zéro.
QU’EST-CE QUI VOUS AVAIT SÉDUITE DANS CE SCÉNARIO NUMÉRO 4 ?
Ce qui m’avait plu dans les précédents : cette façon qu’ont
Olivier et ses complices d’arriver à bâtir leurs histoires sur des faits
d’actualité, ou même de les précéder, avec un sens de la prémonition que je
trouve formidable. Ils se débrouillent toujours pour que les Tuche soient tout
le temps eux-mêmes, c’est-à-dire à la fois spontanés, dans une sorte de bon
sens inné, politiquement neutre -ni correct ni incorrect-, et totalement en
prise avec le monde d’aujourd’hui. Dans ce numéro 4, j’ai aimé leur réflexion
sur la manière dont le monde va dans le mur, et les solutions qu’ils trouvent
pour tenter d’échapper à ce « crash ».
AVEZ-VOUS MIS VOTRE GRAIN DE SEL ?
Pas vraiment. Dans mon retour sur le texte que j’avais reçu,
j’ai suggéré ici et là quelques modifications, dont Olivier et les autres
auteurs ont eu la gentillesse de tenir compte. Mais ça s’est arrêté là. Je suis
de celles qui font confiance à ceux dont le métier est d’écrire et qui les
laisse maîtres de leur scénario. Après, sur le plateau, Olivier nous laisse
toujours libres de proposer des petites improvisations, qu’il garde ou modifie
selon qu’elles sont, ou non, dans les couleurs des Tuche.
AVEZ-VOUS ÉTÉ SURPRISE DE CETTE PROPOSITION DE JOUER À LA FOIS CATHY ET SA SŒUR MAGUY ?
Assez, oui. J’ai d’abord suggéré de prendre une
autre comédienne. Mais Olivier et Jean-Paul m’ont convaincue que ce serait plus
marrant si je faisais les deux. Ce petit challenge me faisait un peu peur. Il
fallait que Maguy soit aussi réussie que Cathy. On a d’abord pensé faire de
Maguy la jumelle de Cathy, mais une jumelle d’un caractère et d’une nature
diamétralement opposés. Finalement, elles ne sont pas jumelles, mais on a gardé
cette idée de contraires : Cathy est joyeuse, solaire et positive, Maguy est
sombre, rigide et tourmentée. Je me suis fait tout un délire sur cette
dernière. Je lui ai inventé une vie.
TECHNIQUEMENT, ÊTRE MAGUY ET CATHY DANS UN MÊME PLAN A DÛ
ÊTRE CONTRAIGNANT…
Oui évidemment. Quand je devais être Cathy, ma doublure,
Pascale Mariani faisait Maguy et à la deuxième prise, c’était l’inverse.
C’était un peu périlleux parce qu’à chaque fois, on devait y aller à fond,
alors qu’une fois sur deux, Pascale devait anticiper sur ce que j’allais faire.
Une mission d’autant plus délicate qu’on n’avait pas beaucoup de temps pour
nous retourner et que nos places étaient fixées au millimètre près. On a dû
faire abstraction de beaucoup de choses. Mais Pascale, qui, en plus d’être
comédienne, est professeur à l’école de Raymond Acquaviva a été plus que
formidable. Elle aussi a dû souvent faire preuve de prémonition !
EST-CE QUE JOUER UN DOUBLE RÔLE DANS LA MÊME SCÈNE, AVEC DES
HUMEURS ET DES ÉTATS DIFFÉRENTS NE RELÈVE PAS UN PEU DE LA SCHIZOPHRÉNIE ?
En fait non, parce que je joue une chose après l’autre.
Comme entre deux prises, je change de costume, de coiffure et… de texte, j’ai
aussi le temps de changer d’humeur, et de personnage. Il faut juste déclencher
le bon « truc » quand on dit « moteur ». C’est une gymnastique, mais qui est
inhérente à notre travail. J’ai adoré et en même temps j’ai beaucoup appris. De
toute façon, comme je ne sais jamais très bien comment on fait pour jouer, j’ai
fait comme d’habitude : je me suis débrouillée avec l’instant.
VOUS NE SAVEZ PAS COMMENT ON JOUE ?
Non, et plus j’avance, moins je le sais. Je n’ai aucune
technique. Cela ne me dérange pas. Je ne cherche ni à comprendre ce que je fais
quand on dit « moteur » ni à analyser ce que j’ai fait quand le metteur en
scène se dit content de la prise. Il me semble que c’est « bon » lorsqu’on
réussit à s’échapper de soi-même et à se soustraire à tout contrôle. Pour une
fille qui a toujours rêvé de maîtriser son jeu pour répondre parfaitement à la
demande du metteur en scène, c’est assez cocasse de dire cela, mais c’est
ainsi ! En ce qui me concerne, les « bonnes » prises sont souvent celles
où ayant tout intégré - jeu, indications, partenaire -, j’arrive à m’oublier
complètement. Le problème est que s’il faut recommencer pour une raison
quelconque, je suis incapable de refaire la même chose (Rire).
C’EST ASSEZ ÉTONNANT DE LA PART DE QUELQU’UN QUI A ÉTÉ
PROFESSEUR DE THÉÂTRE…
En réalité, je n’ai jamais vraiment enseigné ni l’art de la
tragédie, ni celui de la comédie. J’ai simplement été quelqu’un qui a
accompagné ses élèves vers leur envie de rêve. J’ai essayé qu’ils se sentent
libres d’être eux-mêmes. Je me considérais, en quelque sorte, comme leur
premier public, avec un regard le plus bienveillant, le plus encourageant, le
plus accueillant possible. Quand je mets en scène, c’est un peu pareil. Je
construis un projet, avec un décor, des costumes, de la lumière et des
interprètes. Et ensuite, je fais en sorte que toutes ces petites chimies
coexistent et s’unissent pour faire entendre au mieux les mots et les
intentions d’un auteur.
VOUS AVEZ ÉTÉ LE PROFESSEUR DE JEAN-PAUL ROUVE. ET
AUJOURD’HUI, VOUS JOUEZ SA FEMME. CELA VOUS A-T-IL SEMBLÉ PARADOXAL ?
Pas du tout. Cela fait partie des joies et des (bonnes)
surprises de ce métier. Quand j’ai été la prof de Jean-Paul, j’étais toute
jeune. C’était il y a plus de trente ans. J’étais fan de la troupe des Robins
des Bois. Je me marrais bien avec eux. Très vite, j’ai joué avec Jean-Paul. On
avait des affinités et on ne s’est plus quittés. J’ai plus de souvenirs avec
lui en tant que compagnons de route que de souvenirs de notre relation de prof
à élève.
COMMENT AVEZ-VOUS MIS AU POINT LES ACCENTS DE JEFF ET CATHY,
QUI SONT À LA FOIS DISSEMBLABLES MAIS TELLEMENT COUSINS ?
Jean-Paul, qui est originaire de Dunkerque, a repris celui
qu’il avait créé au début des années 90 pour son personnage de Marcel dans
Radio Bière Foot à la Grosse Émission. Et j’ai trouvé le mien en puisant dans
mes souvenirs d’enfant née dans la Meuse. En fait, nous avons tous les deux
brodé autour de ces accents de province qui avaient été ceux de nos années de
jeunesse. On en a fait quelque chose d’hybride, de légèrement dissemblable
mais, en belle « correspondance ». Ces accents nous aident à retrouver cet état
d’enfance que requièrent nos personnages. C’est assez marrant parce qu’on les
retrouve pratiquement à l’instant où on réenfile nos costumes.
DEPUIS LE NUMÉRO 1 DES TUCHE, JEFF EST INDISSOCIABLE DE
CATHY. TOUS LES DEUX VOUS FORMEZ UN COUPLE ASSEZ SINGULIER DANS LE CINÉMA
FRANÇAIS…
Avec Jean-Paul, on a commencé par se raconter beaucoup de
choses sur Jeff et Cathy. On leur a inventé une histoire, d’abord individuelle
puis commune. Notre façon de jouer ensemble à l’écran s’est sûrement aussi
colorée de l’affection et de la tendresse qu’on se porte, Jean-Paul et moi,
dans la vraie vie depuis longtemps… Le couple Jeff/Cathy, qui, à l’écran, est à
la fois mari et femme, père et mère et meilleurs amis du monde s’est construit
sur tout cela. J’espère qu’il est touchant, dans son respect mutuel, sa
sincérité et son amour vrai.
LE TOURNAGE A ÉTÉ INTERROMPU DEUX MOIS POUR CAUSE DE
PANDÉMIE. VOUS A-T-IL ÉTÉ DIFFICILE DE VOUS REMETTRE DANS « L’HUMEUR » DU
FILM ?
Non, on était contents de se retrouver et de reprendre nos
personnages. On a remis nos costumes, on s’est refait maquiller et coiffer. Et
c’est reparti !
CATHY EST-ELLE UN PERSONNAGE FATIGANT À JOUER ?
En général, ce ne sont pas les personnages qui sont
fatigants, ce sont les horaires de tournage. Donc, la réponse est non. Cathy a
beau exiger d’être jouée avec un maximum de sensibilité et d’affect, elle n’est
pas « lessivante ». Personnellement, je m’appuie beaucoup sur l’équipe. Je suis
en connexion totale avec elle. Je me décharge beaucoup sur elle. C’est très
réconfortant.
COMPRENEZ-VOUS L’AMOUR CROISSANT DU PUBLIC POUR LES TUCHE,
QUI AU DÉPART AVAIT ÉTÉ LANCÉ UN PEU COMME UN OVNI ?
Je pense qu’au début, un certain nombre de gens ont aimé
cette famille pour sa candeur et sa gentillesse. Si d’autres se sont joints
ensuite à eux, c’est sans doute parce qu’ils se sont rendu compte que cette
famille était sincère. Peut-être aussi ont-ils apprécié le fait que les
personnages des Tuche ne s’inspirent de personne, qu’ils n’ont pas été inventés
pour se moquer de quiconque, que leur ADN, c’est juste d’être des enfants,
droits, généreux, ouverts, spontanés et entiers. Quand les Tuche aiment, ils
aiment sans restriction, sans limite. Quand ils mettent de la couleur dans les
choses, ils en mettent beaucoup. Quand ils font un sapin, il est ultra-chargé.
Ce sont des gens dont la soif de vie s’exprime à tous les instants. Ce sont des
résistants aux « chienlits » de la vie. Et puis, ils n’ont aucun cynisme, aucun
second degré. Quand on les interprète, on ne doit pas en mettre non plus. On
doit juste faire appel à notre enfance, à nos capacités d’émerveillement. C’est
peut-être cela qui touche les gens.
EST-CE QUE LE PERSONNAGE DE CATHY A CHANGÉ QUELQUE CHOSE EN
VOUS ?
Je ne sais pas. J’ai plutôt l’impression qu’elle suit mon
évolution. Elle prend du poids, comme moi, elle voit ses enfants grandir, comme
moi, elle voit le monde évoluer en continuant de n’y rien comprendre, comme moi
aussi. Au fond Cathy c’est quelqu’un d’impuissant qui se trouve toujours
illégitime partout où elle passe. C’est comme cela que je la joue, parce que
c’est comme cela que je la ressens. La seule arme de Cathy, c’est juste de
faire ce qu’elle sait faire, à savoir, aimer et faire à manger. Je trouve que
c’est déjà énorme pour une femme comme elle qui ne se sent jamais à sa place.
VOUS SERIEZ PARTANTE POUR UN CINQUIÈME TUCHE ?
À condition que le scénario soit de la même exigence que celui du 4, évidemment !
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