A l'occasion de la sortie du film "Caprice" le 22 avril, Virginie Elfira et Emmanuel Mouret le réalisateur ont répondu à quelques questions.
Clément, instituteur, est comblé jusqu'à l'étourdissement : Alicia, une actrice célèbre qu'il admire au plus haut point, devient sa compagne. Tout se complique quand il rencontre Caprice, une jeune femme excessive et débordante qui s'éprend de lui. Entretemps son meilleur ami, Thomas, se rapproche d'Alicia...
Caprice pose l’une des grandes questions amoureuses : doit-on se fier à l’instinct ou au destin pour trouver son âme sœur ? Virgine Efira : À mon sens, les deux sont fortement liés. Alicia est obsédée par une prémonition selon laquelle elle va rencontrer quelqu’un qui ne sera pas du même milieu qu’elle. Mais elle y est réceptive parce que cela correspond à une envie, un instinct profond. Autour de moi, j’entends beaucoup de gens évoquer ces fameux « signes » mais c’est ce que l’on en fait qui m’intéresse vraiment. À partir du moment où ces « appels du destin » résonnent en soi, il y a une certaine beauté à se laisser guider. Dans le film, Emmanuel n’impose jamais au spectateur une direction, ne tranche pas entre instinct et destin, ce qui me convient tout à fait ! Emmanuel Mouret : Personnellement je ne crois ni au destin, ni à l’instinct. Je ne suis sûr de rien, et c’est peut-être ça qui rend les histoires amoureuses si passionnantes ! Est-ce que j’éprouve réellement tel sentiment envers une femme ou est-ce parce que j’ai follement envie de l’éprouver ? Lorsque l’on se raconte nos histoires amoureuses, on parle sincèrement de magie, puis quand elles s’achèvent, on se dit qu’on se racontait des histoires ! Ces deux sentiments sont justes, authentiques. L’amour est peut-être un honnête mensonge !? Une rencontre amoureuse un heureux malentendu !? Dans Caprice, Clément et tous les personnages portent, de façon plus ou moins apparente, un rêve. Et la personne « élue » doit forcément coïncider avec ce rêve. Et, quand elle ne rentre plus dans le cadre assez rigide de notre rêve, c’est là que les problèmes commencent ! Le couple Clément/Alicia s’établit sans se soucier des préoccupations habituelles, comme celle de la famille recomposée... E. M. : Le sujet est ailleurs, ce n’est pas de ça que parle le fi lm. Pour Clément un rêve est en train de se réaliser, c’est tellement beau pour être vrai qu’il attend lui-même quand ça n’ira plus. Comme dans les débuts des films d’horreur, tout va bien, trop bien ! V. E. : À la place d’Alicia, j’angoisserais que tout se construise si joliment avec Clément et leurs enfants. On a envie de gratter sous le vernis, soulever la moquette, sonder les coins obscurs... Cela peut correspondre aussi à une quête de sérénité, si tant est qu’elle existe : il arrive un moment dans le fi lm où Clément fait le choix de cette vie-là mais la sérénité n’accompagne pas éternellement l’amour. Sinon, ça ressemble à une bulle prétendue invincible. Et je n’y crois pas. Le film parle de la véritable beauté de la vie : celle où ce sont les difficultés, les obstacles, la fluctuation des sentiments, les revirements du cœur qui stimulent le mystère amoureux. Comme dans la plupart des films d’Emmanuel Mouret, Caprice s’inscrit dans un ton subtilement décalé par rapport au réel... V. E. : C’est le cinéma que j’aime le plus et c’est ce que j’ai dit à Emmanuel lors de notre premier rendez-vous, avant même d’imaginer pouvoir travailler avec lui. Je crois davantage à la vérité de l’émotion qu’à l’assurance du « vrai » : il existe une obsession un peu pénible pour un cinéma de l’ultra-réalisme comme si lui seul était garant de sincérité. Révéler des paradoxes souterrains, des élans que l’on ne maîtrise pas, est plus émouvant, plus authentique. E. M. : Me concernant, le cinéma n’est pas la réalité, le cinéma c’est avant tout du cinéma. De la même façon que lorsque nous écoutons de la musique, nous sommes dans un monde parallèle. Evidemment nous éprouvons, en regardant un film, des sensations, des émotions qui résonnent avec notre intimité, parfois si profondément que nous avons l’impression que le cinéma c’est la vie. En faisant le film, j’ai été essentiellement guidé par la notion de plaisir que j’ai éprouvé adolescent devant certains films, beaucoup plus que par celle de réalisme. Plaisir d’être avec les personnages, les décors, la musique, mais également plaisir de géométrie dans la construction dramatique et plaisir des paradoxes. V. E. : Emmanuel a la délicatesse de ne pas trouver des réponses mais d’élargir le champ des questions. À travers son prisme, le monde et les gens sont un peu plus ronds, plus riches, plus fragiles forcément. Vous suscitez une forte empathie envers tous vos personnages... E. M. : Je le souhaite en tous cas. Je tente de révéler leur charme. Je dois mon éveil intellectuel et sensible à des rencontres que j’ai faites adolescent. Je suis tombé amoureux ; ça n’était pas partagé mais j’étais conquis... Dans un film comme dans la vie, charmer peut engager le rire, le cocasse, même la tristesse. V. E. : En tant qu’acteur, il ne faut surtout pas chercher à la susciter... E. M. : ... Comment ? Tu n’as pas conscience de l’empathie que tu peux susciter (rires) ? V. E. : Très peu (rires). On se sent parfois très étranger à ce que l’on communique à l’écran. Voire très seule quand, par exemple, un film devient une entreprise commerciale qui calcule son effet et fait tout pour l’atteindre. Caprice est l’inverse de cela : avec Emmanuel, on est partis de l’envie d’échanger ensemble, de célébrer la complexité humaine à travers une fiction |
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L’une des forces d’équilibre du film est de préserver l’intégrité, la vérité de ces deux femmes amoureuses. E. M. : Virginie avait une partition très délicate. Alicia est une actrice célèbre, nantie, reconnue dans la profession alors que Caprice est une débutante sans le sou à laquelle le spectateur pourrait plus facilement s’identifier. Il a fallu faire très attention à ne pas perdre Alicia : au final, elle est plus adorable que son image publique et c’est grâce à Virginie. Quand Alicia apprend qu’elle a été trompée, Virginie le joue en douceur, sans élever le ton. Alicia n’est jamais méprisante envers Caprice. C’est dans toutes ces petites inflexions, ces réactions humaines inattendues, que la beauté d’un personnage se dessine. V. E. : Au départ, je me suis interrogée sur la tranquillité d’Alicia. Au-delà du confort qu’elle représente pour Clément, Alicia aurait pu déraper dans le conformisme, l’humeur égale un peu casse-pieds, la fadeur comparée à la fougue de Caprice. C’est Emmanuel qui m’a montré une image très inspirante de Marilyn Monroe où elle affiche un émerveillement constant. C’est une arme redoutable. Il existe également des possibles qui jalonnent la trajectoire d’Alicia, des pulsions à l’égard de Thomas qu’interprète Laurent Stocker. Et peu importe qu’elle y cède ou non. E. M. : La retenue est l’un des points communs et cardinaux à tous les personnages. C’est ce qui nous fonde en tant qu’individu civilisé et qui m’émeut au cinéma. V. E. : En tant qu’actrice, j’aime l’idée qu’il y a des forces qui nous dépassent. Le pire est de se retrouver avec un personnage figé, barbouillé d’une seule couleur. Qu’est-ce qu’Emmanuel a pu vous cacher d’Alicia ? V. E. : Quelques mots, par-ci par-là. Quand il se lance dans des indications de jeu, il lui arrive de ne pas terminer ses phrases (rires). J’avais parfois l’impression de ne pas comprendre ce dont il me parlait alors que tout était clair. Je n’avais pas besoin d’être rassurée. Emmanuel évoquait souvent l’harmonie et cela me suffisait... Nous étions en phase sur Alicia, en éveil constant, donc je n’ai jamais envisagé que le film pouvait se tromper de ton ou de direction. E. M. : Sur un tournage, le travail est rarement dans l’analyse, mais dans l’écoute les uns des autres. Je ne cache rien de façon préméditée : au contraire, j’adore m’en remettre à tous ceux qui m’entourent et communiquent dans la même direction |
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