Sandrine Bonnaire à 47 ans a déjà une carrière bien remplie et a tourné avec de nombreux réalisateurs (Claude Pinoteau, Maurice Pialat, Agnès Varda, Patrice Leconte, Claude Sautet, André Téchiné, Claude Chabrol... et même Brian de Palma), mais elle n'avait jamais eu l'occasion de tourner avec Claude Lelouch et avec le film "SALAUD, ON T'AIME" avec Johnny Hallyday et Eddy Mitchell, c'est maintenant chose faite. Elle nous livre ses impressions à travers cette interview :
Aviez-vous déjà rencontré Claude Lelouch ?
Sandrine Bonnaire : Nous nous sommes souvent croisés… plus que rencontrés. Et à chaque fois, Claude me disait : il faut qu’on travaille ensemble un jour. Et je répondais, oui, pourquoi pas. Claude Lelouch est un grand, avec une manière de faire, une liberté et des couleurs que je n’ai pas à ma palette. Je suis contente de ne pas l’avoir rencontré plus tôt. Je ne l’aurais peut-être pas « capté ». Je crois que c’était vraiment le bon moment. Je commençais à m’ennuyer un peu en tant qu’actrice. Je me suis dit Claude va m’amuser… Comme Pialat a pu le faire avant, même s’il me faisait pleurer...
Depuis le tournage de SALAUD, ON T’AIME, vous comparez souvent Lelouch et Pialat…
Sandrine Bonnaire : Oui, je n’arrête pas de le dire, Claude me fait penser à Pialat. C’est quelqu’un de complètement marginal, de complètement libre dans tout ce qu’il fait, rien à faire de ce que les gens pensent. Pour moi, si je devais dire un seul mot sur Lelouch, je dirais : c’est un homme libre. Pialat avait ça dans son art.
Il était moins dans « la vie », il était même totalement fermé, mais ils ont deux manières identiques de faire.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le personnage de Nathalie ?
Sandrine Bonnaire : En fait, ce n’est pas le personnage qui m’a intéressée, c’est le sujet.
Je ne me suis pas dit, je vais jouer un beau rôle, mais, je vais être dans un beau fi lm. Ce que j’aime dans cette histoire, c’est le pardon, c’est la manipulation, c’est le pouvoir, c’est l’argent, c’est l’amour... les thèmes essentiels de la vie.
SALAUD, ON T’AIME est un film sur la réconciliation...
Sandrine Bonnaire : Le titre du film aurait pu être « Le temps qui passe ». Le message est qu’il ne faut pas perdre trop de temps à être sincère, à mettre sa propre colère de côté.
Je crois que c’est valable aussi bien pour un parent, un enfant, un ami…
Certains acteurs ont peur de travailler avec Claude Lelouch à cause des figures libres… Ils ont besoin de connaître leur texte au rasoir et de savoir où ils vont, sa méthode d’improvisation vous correspond-elle ?
Sandrine Bonnaire : Après Pialat, j’ai eu ce problème-là : improviser face à des metteurs en scène qui me le demandaient, mais qui n’étaient pas capables de prendre mon improvisation ou qui le faisaient par fainéantise.
Du coup, cela a pu me bloquer et je ne réussissais plus à improviser du tout…
Avec Claude, cela s’est fait naturellement. D’ailleurs, sur le film qui a suivi SALAUD, ON T’AIME, je me suis sentie totalement étriquée.
À chaque fois qu’il réalise un film, Lelouch a le sentiment de faire son premier film.
Sandrine Bonnaire : Oui, complètement ! C’est vraiment quelqu’un à qui l’on peut dire les choses.
J’adore, parce qu’il ne se vexe jamais… Il n’a pas un ego surdimensionné.
Mais il aime être le patron, c’est normal.
Johnny dit que la rencontre a été magique entre vous deux chez Eddy Mitchell.
Oui, complètement. Comme Johnny n’est pas quelqu’un « des mots » et moi également, nous nous observions beaucoup en silence. Quand les gens ne sont pas du tout bavards, cela m’intimide énormément…
Par moment, sur le tournage, je sentais qu’il était un peu traqueur, intimidé.
On avait une vraie complicité… On se rassurait réciproquement. Et puis Johnny : « il est », et c’est ça qui est dingue chez lui, « il est ».
Johnny dit qu’il n’aurait pas vu quelqu’un d’autre pour interpréter le rôle de Nathalie...
Sandrine Bonnaire : Merci, Johnny… Pour moi, la force du film, c’est la présence de Johnny. C’est sa personnalité hors du commun qui a servi le rôle.
Après une scène où Jacques (Johnny) se fait engueuler par sa fille cadette (Jenna Thiam), je vous ai vue trembler parce que Johnny tremblait.
Vous m’avez dit, j’en suis malade de le voir souffrir.
Sandrine Bonnaire : Je me souviendrai toujours de cette scène... Ce que j’ai aimé dans les premières rencontres que j’ai eues avec Claude, c’est qu’il m’a dit, maintenant, puisque tu es metteur en scène, Johnny, on va le diriger ensemble. Quand tu auras envie d’intervenir pendant le tournage, tu m’en parleras... et pour cette scène, je suis allée dire à Claude : Il faut que ça pète… Il faut qu’il y en ait un qui explose, sinon ça ne marchera pas et Claude m’a répondu, ouais, ouais, je le sens, tu as raison. Il est allé voir Jenna, et quand il est revenu vers moi, il m’a dit à l’oreille : Ça va péter. Et ça a été magique.
Et cette scène vous a bouleversée par rapport à Johnny ?
Sandrine Bonnaire : Là, j’ai vu le transfert ! Une fois de plus, j’ai pensé, on est chez Pialat.
Justement, sur l’âpreté du moment où tout explose, autour d’une table. Cela m’a fait penser à une scène de repas de À NOS AMOURS… et Johnny, déstabilisé, s’est dédoublé. Il savait qu’il était dedans, il a très bien compris le rôle et continué à jouer malgré tout l’écho que cela renvoyait sur sa propre vie. C’est un grand acteur ! J’ai été émue de voir à quel point cette scène l’avait touché au coeur. J’ai senti qu’il aimait ça, être dans la réalité et l’émotion d’une scène.
Claude lelouch dit de Johnny et vous : pendant le tournage, je n’ai jamais eu à les forcer pour faire semblant de s’aimer. Ils se sont aimés, tout de suite.
Sandrine Bonnaire : Cela peut paraître paradoxal mais j’aime Johnny depuis toujours.
Je ne m’attendais pas à l’aimer à ce point. Et cela se ressent dans le film ! Nous avons été complices immédiatement. Nous partageons les mêmes valeurs, le même parcours familial, le côté « prolo » de départ.
Lorsque nous nous sommes quittés après le film, il m’a envoyé un message pour dire que ça avait été un réel bonheur de travailler avec moi. Je lui ai répondu :
Dans ma carrière, j’ai rencontré plein de beaux comédiens, vraiment, mais, jusqu’à présent, il y en avait deux qui étaient Mastroianni et Dutronc.
Et toi, tu es vraiment le troisième. Les trois sont dans la même veine.
Ce qui m’épate le plus chez un artiste, c’est qu’il conserve une profonde humilité.
Et ce n’est pas pour rien que Johnny est encore là...
Que pensez-vous du personnage de Frédéric Selman (Eddy Mitchell) ?
Sandrine Bonnaire : Eddy a un rôle très important. Son humour contrebalance avec le côté angoissé de Johnny, mais à mon sens c’est le personnage d’Eddy qui l’est le plus.
Cet humour cache une certaine anxiété… Finalement, cet homme est beaucoup plus malheureux dans cette histoire que son ami qui a tout osé. Il a regardé l’autre évoluer, et Eddy joue formidablement bien ce médecin qui n’a pas bougé.
C’est lui qui va finalement porter le poids de tout, de sa propre vie, du mensonge.
Autant le photographe est complètement dans la vérité, et c’est ce qu’on lui reproche, autant Eddy est dans le déni total de sa propre vie… Et c’est quand même lui qui réunit tout le monde. C’est lui qui fait déraper toute l’histoire finalement… C’est surtout une formidable histoire d’amitié entre deux hommes.
Comment vous êtes-vous sentie à la fin du film ?
Sandrine Bonnaire : Souvent, je suis un peu fatiguée quand je termine un film. À la fin du tournage de SALAUD, ON T’AIME, je me suis sentie regonflée d’énergie. Cela aurait pu durer un mois de plus, sans problème. On pouvait tous être épuisés par moment, mais Claude réussissait à partager son enthousiasme aux autres. Il y a une jolie folie chez lui… Je crois qu’il embarque chaque personne comme si nous étions sur le tournage d’un jeune mec de 20 ans faisant son premier court-métrage.
Lelouch dit qu’avec vous, il a retrouvé sa « Girardot ».
Sandrine Bonnaire : C’est réellement le plus beau compliment que j’ai reçu, je dirais presque de toute ma carrière, ce n’est pas rien…. Annie Girardot, est la plus grande.
C’est quelqu’un d’une grande audace, une vraie artiste. Je la mettrais même au-dessus de Romy Schneider. C’était une femme très libre. C’est quoi un acteur ?
C’est d’aller au plus profond de soi, d’aller au coeur, au côté viscéral.
C’est ce que faisait Girardot avec Lelouch. Je lui tire mon chapeau.
Claude a continué à la faire exister jusqu’au bout.
Prête à renouveler l’aventure Lelouch, alors ?
Sandrine Bonnaire : Je signe tout de suite.
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