Sorti dans les salles le 8 janvier, le film "Yves Saint Laurent" de Jalil Lespert est consacré à la vie du célèbre couturier. Devant la caméra du réalisateur, Pierre Niney, le prodige de la Comédie-Française livre une prestation époustouflante aux côtés de Guillaume Gallienne, Charlotte le Bon et Laura Smet.
Entretien avec Pierre Niney
Quelle a été votre réaction en découvrant le projet ?
Pierre Niney : J'ai été emporté ! J'ai tout de suite réalisé qu'il s'agissait d'un sujet fort et d'un personnage puissant car complexe, fragile et beau. J'étais très excité à l'idée de débuter le travail, et connaissant les films de Jalil Lespert et sa sensibilité pour les acteurs, j'étais certain de participer à un film fort. Je savais que son point de vue sur cette histoire, légendaire, d'amour et de création serait juste, car il traite profondément de la fragilité de ces personnages tout au long du film.
Qu'est-ce qui vous a touché dans le scénario ?
Pierre Niney : D'abord la précocité d'Yves. Sa détermination inébranlable à créer et inventer dès son adolescence. Il n'était heureux que lors de ces moments de création, il ne vivait que pour cela dans un sens.
Ensuite la façon dont Jalil a mis cette histoire d'amour au coeur de son film. Il tenait à raconter la beauté de ce lien entre Bergé et Saint-Laurent qui aura duré plus de cinquante ans. Mais aussi les difficultés ou les manipulations qui ont fait leur histoire.
Finalement, ce qui m'a plu, c'est que le film ne fasse pas l'impasse sur les facettes beaucoup plus sombres de Saint Laurent. Sa découverte de l'alcool puis de la drogue.... Cela a réellement fait partie de sa vie et constitue donc, aussi, la légende Saint Laurent.
Est-ce que vous vous faisiez une idée du milieu de la mode avant qu'on vous propose ce projet ?
Pierre Niney : Non, pas vraiment. Je n'avais pas de fascination pour la mode, car je n'y connaissais pas grand-chose. Et quand j'ai commencé à m'y intéresser, ce qui m'a énormément plu, ce sont les personnages qui composent l'histoire de la mode : les figures d'Yves Saint-Laurent, de Dior et de Balenciaga par exemple. Ces personnages excentriques, créatifs, qui me parlaient davantage que les défilés eux-mêmes. Ceci dit, ma curiosité pour les robes en elles-mêmes, les matières, les coupes, a grandi tout au long de ma préparation et du tournage. J'ai été particulièrement ému de voir les robes Mondrian et autres, sortir exceptionnellement de musées pour notre
tournage. Les robes des ballets russes défilaient sur l'air de La Callas à la toute fin du film. Avec la pleine conscience de l'imagination, du stress et du travail collectif qu'elles représentent, on ne peut qu'être bouleversé.
Yves est un génie, mais aussi un écorché vif, maladivement timide… Comment l'avez-vous abordé ?
Pierre Niney : L'idée était avant tout de désacraliser le personnage et la pseudo- « responsabilité » qui vous incombe lorsque vous allez jouer un personnage réel de cette envergure. Je me suis tout de suite concentré sur le travail et sur le plaisir du jeu. Pour cela, mon expérience de comédien de théâtre m'a beaucoup servi. Quand on joue une pièce de Shakespeare, les références d'acteurs brillants et de mise en scène cultes sont souvent nombreuses, mais on apprend vite à surmonter cette pression pour créer à nouveau, et proposer des choses nouvelles. C'est dans cette même idée que j'ai travaillé le rôle de Saint Laurent sans m'arrêter à la simple appréhension du rôle.
« Maladivement timide », en effet, Yves est un personnage fragile et blessé. Diagnostiqué maniaco-dépressif à l'âge de vingt-quatre ans. Il s'agissait donc aussi de rendre compte de cette facette du personnage. Pour ne parler que de sa timidité, cela témoigne évidement de cette faille insondable chez lui mais aussi de cette aptitude à transformer cela en une arme redoutable. Dans une version du scénario un homme disait à Yves : « Vous parlez bas ! » et Yves répondait simplement : « C'est pour obliger l'autre à écouter... »
Vous êtes-vous beaucoup documenté sur Saint-Laurent ?
Pierre Niney : Je me suis énormément documenté, j'ai vu un maximum de reportages, de documentaires, et j'ai lu tout ce que je pouvais : portraits, interviews, biographies... Pendant plusieurs mois, j'ai vécu avec Saint-Laurent : il m'accompagnait tous les jours à travers des vidéos et des interviews, et j'avais en permanence sa voix dans mon iPod. Je m'en suis imprégné le plus possible. Je voulais, en arrivant sur le plateau, connaître le personnage mieux que quiconque. Et j'ai travaillé avec le coeur, si bien que je me suis arrêté sur les aspects de sa vie qui m'ont touché – sa précocité, ses capacités de création à tout juste 18 ans, son sens du dessin, sa détermination par rapport à ce qu'il voulait faire, sa passion pour le théâtre, et son sens de la scénographie ont donc été une base de travail.
Ensuite, j'ai travaillé avec différents coachs pendant plusieurs mois : des coachs de dessin, de couture et stylisme, de sport et un apprentissage du vocabulaire des ateliers de Saint-Laurent, selon les époques.
Comment avez-vous travaillé la voix ?
Pierre Niney : J'aime bien cette phrase de Stanislavski qui dit "quand tu joues, il faut partir de toi...mais il faut partir". Du coup, je me suis dit qu'il fallait vraiment que je décolle ! En regardant les interviews, j'ai trouvé sa voix et sa diction fascinantes, car elles révèlent sa grande timidité autant que son humour et sa détermination... Je voulais vraiment arriver à rendre compte de tout cela. Et accéder à cette façon si unique et presque poétique de s'exprimer.
Pierre Bergé a-t-il été un "guide" ?
Pierre Niney : Un guide, non. J'ai travaillé de mon côté comme je le fais toujours. Mais une aide précieuse évidemment ! C'est l'homme qui a le mieux connu Saint Laurent et qui, encore aujourd'hui, protège ses créations. Les discussions avec lui m'ont appris beaucoup de choses sur leur vie mais aussi sur la face privée d'Yves, difficilement accessible dans les seuls documents du domaine public. Pierre me racontait des anecdotes, me parlait de l'humour d'Yves et de leur vie selon les époques et les lieux qu'ils ont traversés. J'ai pu visiter son atelier et rencontrer des collaborateurs ou des proches d'Yves comme Betty Catroux, Clara Saint, Dominique de Roche, ou Audrey Secnazi qui m'a appris à dessiner à la manière de Saint-Laurent. C'était une des étapes importantes dans ce long travail de préparation.
Comment s'est passée la collaboration avec Guillaume Gallienne qui vient, comme vous, de la Comédie-Française ?
Pierre Niney : Je crois qu'on est tous les deux amoureux du texte. Ensuite, je trouve que dans une troupe il y a une belle et vraie solidarité, car on passe tellement de temps ensemble sous le même toit, que cela crée quelque chose d'assez unique dans le monde artistique – une sorte de fidélité et de bienveillance et une ambiance de famille. C'était la première fois que je travaillais avec Guillaume, mais on s'est retrouvés sur notre humour, car nous sommes tous les deux des amoureux de comédie. Mais je ne crois pas qu'il y ait une méthode "Comédie-Française" ! Il n'y a pas deux comédiens de la Comédie-Française qui travaillent de la même manière. C'était une question que je me posais au début, mais je me suis rendu compte que la Comédie-Française représente la diversité des parcours et des gens d'aujourd'hui. Certains viennent du one-man-show, d'autres du Conservatoire et d'autres encore du mime. Sur le tournage, nous n'avons pas abordé nos rôles de la même façon. Chacun a ses secrets...
Pouvez-vous nous parler de la direction d'acteurs de Jalil ?
Pierre Niney : Il entre dans les scènes avec nous, comme s'il était l'un des personnages. On lui rejoue la scène et il essaie d'en sentir l'énergie, en reprenant des bribes de répliques à son compte et en explorant de nouvelles idées. Il instaure un vrai laboratoire d'acteurs. Sauf qu'il a, en plus, une vision d'ensemble du film et de ce qu'il veut faire. Avec Jalil, la direction d'acteur est très organique et très pudique en même temps, ce qui me plaisait bien, car les personnages que Guillaume et moi interprétons sont d'une élégance assez rare de nos jours.
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